J.O. Numéro 211 du 10 Septembre 2002       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 5 août 2002 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2002-461 DC


NOR : CSCL0205833X



LOI D'ORIENTATION
ET DE PROGRAMMATION POUR LA JUSTICE

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi d'orientation et de programmation de la justice telle qu'adoptée par le Parlement. Plusieurs dispositions de ce texte sont contraires à la Constitution.
A l'appui de cette saisine, nous développons les moyens et griefs suivants à l'encontre, en particulier, de l'article 3, des titres II, III, et IV de la loi.
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I. - Sur l'article 3 de la loi

Cette disposition a pour objet de modifier l'article 2 de la loi du 22 juin 1987 en créant une procédure dérogatoire aux articles 7 et 18 de la loi du 12 juillet 1985, et en permettant que le contractant de l'administration puisse se voir confier la conception, la construction, l'aménagement d'établissements pénitentiaires ainsi que les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance.
Les auteurs de la saisine partagent toute volonté de mettre en oeuvre l'ensemble des moyens nécessaires pour répondre à la cruelle question de la surpopulation carcérale et aux exigences d'une condition pénitientiaire respectant la dignité humaine.
Cependant, ils sont attentifs que les voies choisies ne s'affranchissent pas des règles s'imposant au législateur, sous couvert des meilleures intentions affichées.
En premier lieu, cet article , qui est le pendant de celui adopté dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure, encourt la critique en ce qu'il méconnaît le principe de la liberté d'entreprendre (décision no 2000-436 DC du 7 décembre 2000), le principe d'égalité qui implique la libre concurrence en matière de commande publique (décisions no 2001-452 DC du 6 décembre 2001 et no 2001-450 du 11 juillet 2001) et l'article 14 de la Déclaration de 1789.
D'une part, en dérogeant à la séparation des fonctions de maître d'oeuvre et d'entrepreneur, l'article critiqué revient sur un dispositif conçu pour assurer une plus grande transparence, donc une plus grande concurrence dans l'accès à la commande publique et un meilleur emploi des deniers publics. Pire, en permettant qu'un marché alloti puisse faire l'objet d'une appréciation globale, il viole le principe d'égalité des candidats à la commande publique (voir sur ce point : instruction sur le nouveau code des marchés publics du 28 août 2001, JO du 8 septembre 2001).
D'autre part, en faisant revivre, sans le dire, les marchés d'entreprise de travaux publics (METP), la disposition critiquée va limiter l'accès des petites et moyennes entreprises aux marchés dont il s'agit. C'est pour mémoire que l'on rappellera que ces METP réputés pour leur opacité ont fait l'objet de vives critiques de la part du Conseil d'Etat (rapport public 1993, p. 73).
Or, rien dans la définition des missions en cause ne justifie qu'il faille écarter les PME de la conception ou de l'aménagement, par exemple, d'établissements pénitentiaires nouveaux. On se demande même pourquoi il faudrait que certaines fonctions pouvant être assumées par des personnes privées au sein des établissements pénitentiaires devraient être réservées à ceux qui les ont construits. Ce qui est la logique à laquelle conduit l'économie de l'article critiqué, les petites entreprises voyant l'accès à ces marchés fort limité.
Le principe d'égalité et son corollaire qu'est la libre concurrence sont atteints.
D'autant qu'en second lieu l'incompétence négative du législateur est patente.
Modifiant le régime de ces marchés particuliers qui touchent à des fonctions régaliennes et à la liberté individuelle des personnes détenues, le législateur devait prévoir toutes les garanties nécessaires.
Pourtant, c'est l'inverse qu'il a fait.
Dans l'article 2 de la loi de 1987 ainsi modifié, il était prévu que l'exécution de ces missions était faite selon « un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat ». Cette garantie a disparu. Seule la référence au code des marchés publics demeure, et encore pour l'assortir d'une exception en matière d'allotissement.
Au regard des particularités des missions pouvant être dévolues aux entreprises concernées, il était indispensable que le législateur épuise sa compétence.

II. - Sur le titre II de la loi

La loi soumise à votre examen porte, notamment, création d'une juridiction de proximité dans des conditions évidemment contraires à plusieurs règles de valeur constitutionnelle. En particulier, les dispositions dont il s'agit méconnaissent les articles 34, 64 et 66 de la Constitution, le principe d'égalité devant la justice et ensemble les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
II-1. En particulier, et en premier lieu, la compétence accordée à ce nouveau juge de proximité en matière pénale viole les articles 64 et 66 de la Constitution et le droit au juge tel que garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Le droit pour chacun de voir sa cause pénale entendue par un juge indépendant, impartial, avec le bénéfice de toutes les garanties d'un procès équitable rejoint, à cet instant, le principe d'égalité devant la justice. Cela suppose que les justiciables ont le droit de voir juger leur cause pénale par un ou des magistrats professionnels ayant embrassé la carrière judiciaire.
Sont donc présentement méconnus les articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration dès lors que ces juges non professionnels seraient compétents en matière pénale pour certaines contraventions, y compris, pour ce qui est des majeurs, au titre des contraventions de 5e classe.
L'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et exerce l'exclusivité de la compétence de juger en matière strictement pénale.
Pour l'ensemble des contraventions, outre les peines d'amende déterminées par l'article 131-13 du code pénal, il ressort de l'article 131-16 du même code que le règlement réprimant ce type d'infraction peut prévoir, lorsque le coupable est une personne physique, une ou plusieurs peines complémentaires dont, par exemple, la suspension du permis de conduire pour trois ans au plus.
Au surplus, et pour s'en tenir aux seules contraventions de 5e classe, la loi critiquée permettrait à un juge non professionnel de prononcer en vertu de l'article 134-14 du code pénal une peine privative ou restrictive de droits.
De plus, celui-ci aurait le pouvoir, sur délégation donnée par le président du tribunal de grande instance, de valider des mesures de composition pénale (art. 9 de la loi créant un article 706-72 nouveau dans le code de procédure pénale). Jusqu'à présent, la validation d'une telle mesure ressortait de la compétence du juge d'instance pour le domaine des contraventions. En confiant à un juge non professionnel un tel pouvoir, la loi viole, là aussi, l'article 66 de la Constitution (décision no 95-360 DC du 2 février 1995).
Cela est d'autant plus inadmissible que ce magistrat non professionnel aura une compétence pénale à l'égard des mineurs. On y reviendra plus loin, mais ce rappel éclaire de plus fort l'inconstitutionnalité ici démontrée.
C'est dire que l'office de ce juge non professionnel concernera très directement la liberté individuelle dans son acception la plus précieuse. Ce n'est tout simplement pas possible ni dans ces conditions ni dans les conditions futures d'achèvement du statut de ces magistrats de circonstances.
On ajoutera, enfin, que l'incompétence négative du législateur est patente dès lors que selon l'article 9 de la loi (créant un article 706-72 nouveau dans le code de procédure pénale), la détermination de la compétence rationae materiae du juge de proximité est renvoyée à un décret en Conseil d'Etat.
La liste des contraventions qui relèveront de son office n'est donc pas fixée dans la loi.
Or, l'article 34 de la Constitution, en confiant au législateur ordinaire la compétence de déterminer les règles pour la création des ordres de juridictions, a nécessairement entendu comprendre les règles de compétence matérielle (décision no 65-33 L du 9 février 1965 ; cf. commentaire aux GDCC, pages 138 et 139).
Aussi, pour excepter au principe de la compétence du tribunal de police telle que définie par l'article 521 du code de procédure pénale, il convenait de déterminer avec précision et plénitude la compétence du nouveau « juge d'en bas ». Pour comparaison, on relèvera que la liste des infractions qui relèvent du juge unique en matière correctionnelle par exception à la collégialité de la juridiction correctionnelle est totalement définie par l'article 398-1 du code de procédure pénale. L'énumération est alors laborieuse, mais elle représente la garantie que le législateur a épuisé sa propre compétence dans un domaine touchant, qui plus est, aux libertés publiques.
En renvoyant au pouvoir réglementaire la détermination de la compétence exacte de ce nouvel ordre de juridiction, le législateur a méconnu sa propre compétence.
Pour cette autre raison, l'invalidation est certaine.
II-2. En second lieu, la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice est évidente.
Cette exigence constitutionnelle est particulièrement forte et votre jurisprudence a eu plusieurs occasions de le rappeler (décision no 98-396 DC du 19 février 1998 ; décision no 75-56 DC du 23 juillet 1975).
En l'espèce, ainsi qu'on l'a déjà dit, la juridiction de proximité critiquée fera appel à des magistrats non professionnels pour, en matière civile, traiter les litiges de moins de 1 500 Euros et, en matière pénale, statuer sur certaines contraventions. Au-delà, le juge d'instance, ou le tribunal de police, retrouvera sa compétence, voire avant dans l'hypothèse du renvoi pour compétences incertaines.
Un litige même d'un montant inférieur à 1 500 Euros présente pour le justifiable, demandeur ou défendeur, une importance non négligeable et peut-être susceptible de poser une question de droit difficile. Ainsi, à s'en tenir au tableau présenté dans le rapport de messieurs les sénateurs Schosteck et Fauchon (Sénat, rapport no 370, p. 76), ce juge de proximité aura compétence, par exemple, pour trancher des questions de responsabilité civile, ce qui n'est pas le champ du droit le plus évident.
Il en résulte qu'indépendamment du montant des causes soumises au juge de proximité, les justiciables verront juger par des magistrats non professionnels des litiges étant en droit de même nature que ceux soumis à la compétence du juge d'instance.
Ce qui sera encore plus grave s'agissant de la matière pénale.
Il ne peut qu'en résulter une rupture d'égalité devant la justice.
On en voudra pour preuve que l'article 7 déféré prévoit dans un nouvel article L. 331-4 du code de l'organisation judiciaire que le juge de proximité pourra renvoyer au juge d'instance une affaire posant une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application de la règle de droit ou sur l'interprétation du contrat liant les parties.
D'abord, c'est faire l'aveu que la justice de proximité, au-delà du critère du montant des litiges (1 500 Euros), aura à juger des questions de droit qui ne relèvent pas que du bon sens et que son champ de compétence est arbitrairement défini sans égard pour les exigences de qualité des décisions de justice et donc pour les justiciables.
Ensuite, il importe de rappeler qu'en matière civile, la procédure du renvoi est strictement encadrée par les articles 356 à 366 du nouveau code de procédure civile et répond à des critères objectifs entourés de toutes les garanties d'une bonne administration de la justice pour les parties à l'instance. Quant aux questions préjudicielles et préalables, elles sont, là aussi, des incidents de procédures particulièrement bornés par notre droit positif national et européen.
Au cas présent, rien de tel. Le renvoi prévu ne répond qu'à l'appréciation arbitraire, et somme toute aléatoire, de ce juge non professionnel, inaugurant, en quelque sorte, le « juge à éclipse ». Les parties au procès gagneront ainsi la faculté de jouer à la loterie judiciaire avec tel juge vacataire conscient des limites de ses compétences, alors que devant tel autre, elles subiront la loi d'airain des certitudes de celui qui n'en démord pas !
En sorte que pour les mêmes litiges ou les mêmes infractions, des justiciables se trouvant dans des situations semblables, en tant que parties à une instance ou poursuivis pour la même cause, seront jugés par des juridictions composées selon des règles différentes (décision no 75-56 DC du 23 juillet 1975). Le fait que le juge d'instance intervienne selon une habilité rédactionnelle de la loi comme « juge de proximité » ne purge pas le vice d'inconstitutionnalité dès lors que dans un cas le justiciable aura été jugé par un magistrat non professionnel et dans l'autre par un magistrat professionnel.
Dès lors, il est difficile de considérer que l'intrusion voulue de tels aléas dans le traitement juridictionnel des litiges puisse s'accommoder avec le principe d'égalité devant la justice, corollaire de l'égalité devant la loi, tout comme avec le droit au recours qui suppose l'accès à un juge jouissant de la plénitude de ses compétences juridictionnelles et assurant la continuité de ce service public régalien.
Dans ces conditions, force est de considérer que l'institution de la juridiction de proximité n'offre aucune des garanties exigées par le principe d'égalité devant la justice.
Pour ce grief aussi, la censure est encourue.

III. - Sur le titre III de la loi

Le titre III de la loi soumise à votre examen ambitionne de traiter la difficile question de la délinquance des mineurs en durcissant le régime dont ceux-ci relèvent au titre du droit pénal des mineurs tel que fondé par l'ordonnance du 2 février 1945.
Les auteurs de la saisine sont eux aussi très attentifs à répondre utilement aux problèmes posés par la délinquance des mineurs avec toute la conviction qu'il convient et dans l'esprit de ce qu'ils avaient déjà entrepris. Ils affirment cependant leur volonté de s'y atteler dans le respect de la spécificité de la justice des mineurs et des garanties constitutionnelles y étant attachées.
Or, le dispositif critiqué remet gravement en cause l'équilibre qui trouve sa source dans l'ordonnance du 2 février 1945, laquelle fut précédée dans cette idée du primat de l'éducatif sur le répressif par la loi du 22 juillet 1912 et même du 12 avril 1906, et dont les principes essentiels ont une valeur constitutionnelle unanimement admise au titre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
On en voudra pour preuve ce rappel fort utile d'un ancien garde des sceaux du gouvernement de M. A. Juppé : « Les débats devant le Conseil d'Etat dont l'avis - je l'indique ici publiquement, comme je l'avais fait lors de mon audition devant votre commission des lois - a été entièrement suivi par le Gouvernement, ont montré que les principes essentiels de l'ordonnance de 1945 semblaient présenter une nature constitutionnelle et qu'il n'était pas possible d'y déroger. L'ordonnance, dont les principes datent en réalité de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, peut être considérée comme l'une des lois de la République auxquelles renvoie le préambule de la Constitution de 1946 » (AN, 27 mars 1996, 2e séance, Jacques Toubon, ministre de la justice, JO, Débats AN, p. 2054). L'ancien garde des sceaux s'exprimait ainsi, dans le cadre de ce qui allait devenir la loi du 1er juillet 1996, pour s'opposer à un amendement de la commission des lois de l'Assemblée nationale qui tendait à étendre aux mineurs une procédure adaptée de comparution immédiate ; rappelant donc que ce type de mesure coercitive est totalement antagoniste avec le caractère éducatif de notre droit des mineurs.
Cet équilibre fondamental se trouve particulièrement exprimé dans l'article 2 de l'ordonnance qui distingue clairement, d'une part, les mesures relevant de la protection de l'enfance et de l'éducation et, d'autre part, les sanctions pénales pouvant être exceptionnellement prononcées selon une procédure particulière.
La valeur constitutionnelle des principes du droit des mineurs se trouve renforcée par le droit international conventionnel, et particulièrement par l'article 40 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par notre pays, aux termes duquel il est spécifié que « les Etats s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infraction à la loi pénale ». Disposition qui fait écho aux principes fondamentaux énoncés par l'assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1945 dans les règles dites de « Beijing ».
Cela signifie, en outre, qu'au titre de la spécificité de la justice et du droit pénal des mineurs, les normes de valeur constitutionnelle sont encore plus rigoureusement appréciées quand se trouvent en cause la liberté du mineur et donc son avenir. C'est ce que votre jurisprudence a indiqué, au moins par deux fois, dans les décisions du 20 janvier 1994 et du 11 août 1993.
Pourtant, cet équilibre qui repose sur l'idée que le mineur n'est pas un adulte en miniature, mais un être en devenir, est gravement rompu par le présent titre de la loi critiquée ainsi qu'il va être démontré ci-après.
III-1. Sur les articles 11 et 12 de la loi.
L'article 11 modifiant l'article 122-8 du code pénal affirme le principe de la responsabilité pénale des mineurs sans distinction d'âge et crée une nouvelle catégorie de mesures répressives destinées aux mineurs : les sanctions éducatives.
Ce faisant, l'idée du primat de l'éducatif sur le répressif est battue en brèche et l'économie du reste du titre III de la loi aboutit à une pénalisation évidente des mineurs, y compris des mineurs de dix ans.
A cet égard, l'appellation de « sanction éducative » ne peut masquer la réalité du sens de ce dispositif, à savoir la rupture de l'équilibre établi par l'article 2 de l'ordonnance de 1945 dont on a vu la valeur constitutionnelle.
La censure de cet article s'impose d'autant plus que le mécanisme qui suit est entaché de nombreuses autres inconstitutionnalités illustrant cette rupture de l'équilibre fondamental du droit pénal des mineurs.
Quant à l'article 12 de la loi, il est la première traduction de cette rupture d'équilibre. En modifiant la rédaction de l'alinéa à l'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945, cette disposition introduit, d'une part, la notion de répression pour les mineurs de dix ans en inventant donc la notion de « sanction éducative » et, d'autre part, fait de la répression des mineurs de treize à dix-huit ans le principe, sous la réserve de « l'atténuation de leur responsabilité pénale ».
Autrement dit, on se trouve, à cet instant du texte, face à une disposition qui se voudrait de pure rédaction mais qui, en réalité, nous conduit au point de rupture avec les principes fondamentaux du droit pénal des mineurs tels que reconnus par les lois de la République au titre du préambule de la Constitution de 1946.
Cette rupture est en soi inconstitutionnelle et la reconnaissance du principe de la répression des mineurs au détriment de la volonté éducative et de protection, ainsi que la notion de sanction éducative ne peuvent être que censurées. D'autant plus que le reste du mécanisme tel que défini aux articles 12 et suivants de la loi montre que cette rupture entraîne des conséquences graves qu'il convient de contenir dès maintenant.
III-2. Sur l'article 16 de la loi.
Le doute n'est plus permis. En modifiant le premier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance pour étendre les conditions de retenue des mineurs de dix à treize ans, le législateur, tirant les conséquences des articles 10 et 11 de la présente loi, pénalise davantage les plus jeunes, et la loi querellée tourne le dos à 1945.
Pourtant, il faut rappeler avec la plus grande fermeté que vous avez jugé en application de l'article 9 de la Déclaration de 1789 que « si le législateur peut prévoir une procédure appropriée permettant de retenir au-dessus d'un âge minimum les enfants de moins de treize ans pour les nécessités d'une enquête, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s'agissant d'infractions graves » et vous avez donc accepté comme un maximum, la retenue des mineurs de dix ans pendant dix heures au plus, entourée de surcroît par des garanties particulières, et aux motifs d'infractions punies d'une peine de sept ans au moins d'emprisonnement (décision no 93-334 DC du 20 janvier 1994). C'est la même attention portée à la spécificité de la justice des mineurs qui a inspiré votre décision du 11 août 1993.
En l'espèce, l'article 14 de la loi abaisse, d'abord, le seuil de gravité des peines justifiant le recours à cette retenue, en passant de sept à cinq ans, et, ensuite, allonge la durée de retenue de 10 à 12 heures, ce qui conduit à un maximum de 24 heures si l'on tient compte du renouvellement possible.
C'est en vain que l'on opposerait que cet allongement de la durée de retenue est minime et donc acceptable.
D'une part, la limite de 10 heures admise en 1994 est, eu égard au jeune âge du mineur, un plafond haut. D'autre part, il y aurait un paradoxe à soutenir le peu de conséquences de cet allongement car, dès lors, on serait en situation de s'interroger sur l'utilité d'une mesure privative de liberté présentée comme étant sans impact. Soit elle a un impact et elle est excessive, soit elle n'en a pas et elle n'est pas nécessaire. Dans les deux cas, elle est une rigueur contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789.
Cet allongement est clairement contraire à votre jurisprudence précitée et partant encourt une censure certaine.
III-3. Sur l'article 17 de la loi.
Cet article a pour objet d'ajouter à l'ordonnance du 2 février 1945, un nouvel article 10-1 organisant le contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans selon les dispositions applicables au titre du code de procédure pénale mais en l'assortissant de la faculté de prononcer des obligations complémentaires.
Ce dispositif est, là encore, contraire aux principes essentiels de l'ordonnance du 2 février 1945 tendant à faire primer l'éducatif sur le répressif afin de préserver la spécificité de la justice des mineurs, et ensemble aux articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 qui garantissent la nécessité des peines et la présomption d'innocence.
A suivre le dispositif critiqué, il résulte, d'une part, que les mineurs de treize à dix-huit ans sont susceptibles d'être soumis à un régime de contrôle judiciaire, non seulement identique pour partie à celui des majeurs, mais, bien plus, à des obligations complémentaires qui en font, en définitive, un régime plus rigoureux au détriment des mineurs.
Les principes du droit des mineurs sont, en quelque sorte, inversés : la rigueur est plus importante que pour les majeurs.
D'autre part, ce mécanisme de contrôle judiciaire souffre d'un autre vice lié à ce qu'il peut aboutir, sans le dire ou plutôt sans oser l'assumer, à l'enfermement des mineurs. Ce qui en fait bien plus qu'un simple contrôle judiciaire.
Le 2o du II de cet article 10-1 nouveau prévoit, en effet, que parmi les obligations complémentaires peut figurer le respect des « conditions de placement dans un centre éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse ou relevant d'un service habilité auquel le mineur a été confié par le magistrat en application des dispositions de l'article 10 et notamment dans un centre éducatif fermé prévu à l'article 33 ».
Comme on le verra plus tard, ces centres éducatifs fermés sont d'une nature juridique incertaine et, en tout état de cause, se caractérisent par l'enfermement du mineur. Non seulement parce que leur intitulé le précise mais aussi parce que c'est le sens des déclarations du garde des sceaux pendant les débats.
On doit donc considérer qu'il s'agit plus que d'une obligation de contrôle judiciaire renforcé excédant les limites acceptables en matière de justice de mineur, déjà, en soi, non nécessaire au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et assurément contraire à la présomption d'innocence telle que définie par l'article 9 de la même déclaration des droits et libertés.
La réalité du mécanisme ainsi instauré est celle d'une rétention judiciaire provisoire pour mineurs. Cette nouvelle procédure évite le recours systématique à la détention provisoire des mineurs qui aurait été spectaculairement inconstitutionnelle, mais elle n'en est pas moins sournoisement contraire aux articles 8 et 9 de la Déclaration et aux principes fondamentaux qui inspirent l'ordonnance de 1945.
Enfin, il résulte du dernier paragraphe de ce 2o que le procureur, mis en copie d'un éventuel manquement au respect du contrôle judiciaire, peut, in fine, s'attacher à la révocation dudit contrôle et aboutir à la détention du mineur dans certaines conditions. C'est ce qu'a indiqué en substance le rapporteur à l'Assemblée nationale lors de la troisième séance du 1er août.
Ce pouvoir accordé au parquet fait obstacle à la spécificité de la justice des mineurs puisqu'il pourra concurrencer, à cet égard, le juge pour enfants.
Au-delà des mots qui veulent tromper, la procédure de rétention provisoire pour mineur ainsi instituée inverse le principe de spécificité du droit pénal des mineurs en inventant une procédure de privation de liberté dérogatoire au droit commun et finalement plus rigoureuse que celle du contrôle judiciaire pour majeurs.
Sauf à franchir une frontière constitutionnellement fixée par les lois de la République, l'invalidation du dispositif proposé par cet article 15 est encourue.
III-4. Sur l'article 18 de la loi.
L'article critiqué tend à étendre les conditions de placement en détention provisoire des mineurs de treize ans à seize ans, en rendant celle-ci possible en matière correctionnelle dès lors qu'ils n'auraient pas respecté les obligations de leur contrôle judiciaire.
La méconnaissance des principes de l'ordonnance du 2 février 1945 et ensemble l'article 9 de la Déclaration de 1789 est malheureusement patente. La loi no 87-1062 du 30 décembre 1987, en supprimant la possibilité de placer en détention provisoire un mineur de treize ans au motif de la commission d'un délit, a doté de garanties légales, adaptées au statut des mineurs, l'exigence constitutionnelle de présomption d'innocence.
Or, il est de jurisprudence constante que l'exercice du pouvoir législatif ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (décision no 86-217 DC ; décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995).
C'est pourtant ce que l'article critiqué fait on ne peut plus clairement en revenant sur cette mesure de protection des mineurs.
La censure ne pourra pas manquer d'intervenir de ce seul chef.
III-5. Sur l'article 19.
Cet article institue une procédure nouvelle appelée jugement à délai rapproché. Les auteurs de la saisine ne méconnaissent pas la nécessité d'organiser une réponse juridictionnelle dans les meilleurs délais lorsqu'un mineur, parfois en situation de récidive, a commis une infraction. Pour autant, il apparaît que la procédure choisie s'écarte des principes de l'ordonnance de 1945, et notamment de la nécessité de tenir compte de la personnalité du mineur et de son évolution rapide à cette époque de la vie, afin de se rapprocher sans l'avouer de la procédure de comparution immédiate.
La lecture attentive de cette disposition montre que le législateur a adopté une procédure extrêmement proche de celle prévue aux articles 393 à 397-6 du code de procédure pénale.
Pour exemple, l'article 394 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République peut inviter la personne déférée à comparaître devant le tribunal dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours (...) ni supérieur à deux mois.
Au paragraphe III de l'article 14-2 nouveau de l'ordonnance du 2 février 1945, il est prévu que « le procureur de la République informe le mineur qu'il est traduit devant le tribunal pour enfants pour y être jugé, à une audience dont il lui notifie la date et l'heure et qui doit avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à un mois ».
On avouera que les similitudes sont troublantes.
Elles le sont d'autant plus si l'on s'attache aux possibilités données au juge des enfants, sur réquisition du parquet, de placer le mineur en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire (cf. paragraphe IV de cet article 14-2). Ce placement sous contrôle judiciaire revêt, à cet égard, une portée particulière quand on se rappelle que, selon le nouvel article 15-1 de l'ordonnance de 1945, ce contrôle peut être assorti d'un placement dans un centre éducatif fermé dont on a vu qu'il aboutissait à une situation d'enfermement du mineur.
Quant à l'enquête de personnalité relative au mineur, elle est considérée comme négligeable puisque, vieille d'un an, elle sera suffisante. Une telle option méconnaît singulièrement l'évolution si rapide des jeunes qui se trouve, précisément, au coeur des principes essentiels de la justice des mineurs dont la valeur constitutionnelle ne pourra manquer d'être admise.
Il n'est pas indifférent, à ce stade, de faire référence aux propos précités du ministre de la justice du gouvernement de M. A. Juppé s'opposant à un amendement de la commission des lois de l'Assemblée nationale tendant à soumettre les mineurs à une procédure adaptée de la comparution immédiate. Cette opposition étant alors motivée par le fait qu'une telle option aurait violé les principes constitutionnels portés par l'ordonnance du 2 février 1945 (cf. paragraphe II de la présente saisine).
En tout état de cause, une telle procédure dont l'intitulé ne doit pas tromper viole les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 en soumettant les mineurs à une procédure dont le mécanisme est disproportionné, d'une part, et méconnaît les garanties particulières dont les mineurs doivent constitutionnellement bénéficier, d'autre part. Encore une fois, vos décisions des 11 août 1993 et 20 janvier 1994 plaident en ce sens. L'équilibre de l'ordonnance du 2 février 1945 y oblige.
La censure est, de tous ces chefs, encourue.
III-6. Sur l'article 20 de la loi.
L'article 20 modifie l'article 21 de l'ordonnance de 1945 afin d'attribuer compétence au juge de proximité pour statuer sur les contraventions des quatre premières classes concernant les mineurs. La compétence en matière pénale de ce juge non professionnel a déjà fait l'objet de critiques quant à son inconstitutionnalité de principe. Le pouvoir qu'il a de juger les mineurs viole encore plus manifestement le principe fondamental reconnu par les lois de la République de la spécificité de la justice des mineurs et, en tout état de cause, l'article 66 de la Constitution.
Certes, il n'a pas échappé aux auteurs de la saisine que l'article 21 de l'ordonnance dans sa rédaction précédente à la loi déférée faisait déjà exception en confiant le jugement de ces contraventions au tribunal de police.
L'article 21 originel indiquait que « les mineurs de dix-huit ans ne seront pas soumis au droit commun en matière de contravention », expression expresse de la spécificité de la justice des mineurs, qui se matérialise notamment par le fait que le tribunal de police ne peut que prononcer l'admonestation pour le mineur de treize ans à l'exclusion d'une peine d'amende.
En revanche, le fait de confier le jugement de mineurs, y compris les plus jeunes, à un magistrat non professionnel, dont on ignore à ce jour les garanties qu'il présentera, est tout simplement contraire à l'équilibre constitutionnellement garanti du droit pénal des mineurs.
Actuellement, le juge d'instance qui assume l'office du tribunal de police est un magistrat professionnel qui a suivi une formation particulière qui l'a amené à connaître, par nécessité, les particularismes de la justice des mineurs assumée par d'autres magistrats professionnels avec qui il a suivi une scolarité commune.
Rien de tel pour ce juge de proximité dont rien ne garantit qu'il saura faire face aux enjeux que peut suggérer le jugement d'une simple contravention pour un jeune de dix ans. Certains membres de l'actuelle majorité ont mesuré le risque, tel M. P. Albertini s'exprimant dans ce sens sur l'article en question au cours de la première séance du vendredi 2 août.
C'est dire que l'inconstitutionnalité dont l'article 20 est entaché permettra d'éviter un risque que de nombreux parlementaires de tous bords ont ressenti.
III-7. Sur l'article 22 de la loi.
Cet article insère un nouvel article 33 dans l'ordonnance de 1945 pour créer des centres éducatifs fermés dans lesquels les mineurs sont placés en application d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve, étant précisé qu'au sein de ces centres les mineurs font l'objet de mesures de surveillance et de contrôle.
L'article en cause est entaché d'incompétence négative et viole la liberté individuelle et la présomption d'innocence telles que garanties par les articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789.
En effet ces « centres éducatifs fermés » ne bénéficient d'aucune définition précise alors même qu'ils sont destinés à recevoir des mineurs dont la liberté d'aller et venir sera limitée, voire niée. Or, le législateur lorsqu'il fixe, en application de l'article 34 de la Constitution, les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques doit épuiser sa compétence (décision no 96-378 DC du 23 juillet 1996).
Rien de tel en l'espèce.
Non seulement il est impossible de savoir ce que signifie exactement le qualificatif « fermé » et ce qu'il emporte quant au régime du séjour des mineurs dans ces centres mais, au surplus, rien n'a été précisé pendant les débats sur ce que recouvrent les mesures de surveillance et de contrôle dont les mineurs concernés feront l'objet.
Le ministre de la justice a certes indiqué devant le Sénat que ces centres se distingueront des centres d'éducation renforcée existants par « la contrainte juridique nouvelle, celle de la fermeture ».
Sans doute s'agit-il de centres de rétention ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire mais qui feront peser une réelle contrainte sur la liberté individuelle et même sur la présomption d'innocence des mineurs y étant placés.
Les mots choisis pour tromper ne vous ôtent pas votre pouvoir de requalification indispensable à un contrôle complet de constitutionnalité a priori.
Il vous revient de restituer la réalité juridique de ces centres fermés et d'en tirer les conséquences constitutionnelles.
En réalité, donc, il s'agit de lieux d'enfermement qui ne veulent pas s'avouer comme tels et qui permettent de retenir au titre d'un contrôle judiciaire renforcé, ou d'un sursis avec mise à l'épreuve, des mineurs, tout en s'affranchissant des règles protectrices en matière de justice des mineurs et des garanties constitutionnelles lui étant attachées.
Dans ces conditions, en ne précisant pas le statut précis de ces centres fermés qui permettront de limiter la liberté d'aller et venir des mineurs, le législateur a méconnu l'étendue de sa propre compétence et ensemble la liberté individuelle et la présomption d'innocence telles que particulièrement garanties au titre des principes du droit des mineurs.
De tous ces chefs, la censure doit intervenir.
III-8. Sur l'article 23.
Par amendement, il a été inséré un article 33-1 dans l'ordonnance de 1945 tendant à suspendre les allocations familiales lorsqu'un mineur est placé dans un centre éducatif fermé.
Cette mesure est, en premier lieu, contraire au principe résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait (décision no 99-411 DC du 16 juin 1999).
En l'espèce, la mesure dont il s'agit emporte la qualification de punition, ainsi qu'en témoigne le pouvoir confié au juge. La volonté de l'auteur de l'amendement de sanctionner indirectement les parents ne peut d'ailleurs échapper à une lecture attentive des travaux parlementaires (AN, séance du vendredi 1er août 2002).
Pourtant, il est paradoxal de sanctionner les parents après avoir affirmé dans la nouvelle rédaction de l'article 122-8 du code pénal le principe de la responsabilité pénale des mineurs, rédaction critiquée par ailleurs. Les allocations en cause ne perdent pas leur utilité au motif de l'enfermement de l'enfant et les parents continuent, par exemple, de payer un loyer lié à la taille d'un logement destiné à abriter ce mineur, de lui acheter des vêtements, voire des livres scolaires.
En tout état de cause, cette sanction est disproportionnée et non nécessaire (décision du 16 juillet 1996) car il existe déjà un mécanisme prévu par l'article L. 551 du code de la sécurité sociale qui, au surplus, prévoit les causes objectives de mise sous tutelle des prestations sociales.
En second lieu, cette mesure aboutit à modifier la nature juridique des allocations familiales qui sont liées aux cotisations versées par les intéressés. En effet, selon les propres termes de votre décision du 13 août 1993, « les cotisations versées aux régimes de sécurité sociale qui résultent de l'affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés, que ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » (décision no 93-325 DC du 13 août 1993, cf. considérant no 111).
De tous ces chefs, la censure est encourue.

IV. - Sur le titre IV de la loi

IV-1. Sur l'article 37 de la loi.
Cet article a pour objet de modifier plusieurs dispositions du code de procédure pénale dont la majorité concernent les règles de placement en détention provisoire. Ce faisant, la loi critiquée abroge plusieurs dispositions résultant de la loi du 15 juin 2000 dite loi « présomption d'innocence ». Or, cette loi a eu pour objet, notamment, de mettre en oeuvre des garanties légales pour satisfaire le principe de la présomption d'innocence tel qu'il résulte de l'article 9 de la Déclaration de 1789, largement éclairé par la Convention européenne des droits de l'homme. Aussi, en revenant sur ces garanties légales, la présente loi ne peut être que regardée comme inconstitutionnelle (décision du 19 janvier 1995 précitée).
Deux séries de points méritent plus particulièrement, mais pas seulement, l'attention.
D'une part, la nouvelle rédaction proposée pour l'article 137-4 du code de procédure pénale oblige le juge d'instruction à motiver l'ordonnance par laquelle il considère que les réquisitions du parquet tendant à la détention provisoire ne sont pas justifiées. Le principe étant la liberté, l'obligation désormais faite à ce juge du siège, gardien de la liberté individuelle, de motiver sa volonté de laisser libre un individu ne peut être constitutionnellement admise.
D'autre part, en abaissant différents seuils permettant le placement en détention provisoire, tels, par exemple, qu'ils résultent de la nouvelle rédaction de l'article 137-5 du code de procédure pénale, on élargit la possibilité de décider la privation de liberté d'une personne présumée innocente. C'est donc un recul par rapport aux garanties que la loi du 15 juin 2000 avait apportées au principe de la présomption d'innocence qui ne pourra qu'être censuré au bénéfice de l'application de l'effet cliquet consacré par votre jurisprudence.
IV-2. Sur l'article 38 de la loi.
Le dispositif créé tend à prévoir la possibilité, pour le procureur de la République, de faire appel d'une ordonnance de mise en liberté rendue par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, donc un juge du siège, en demandant que cet appel ait un caractère suspensif.
Cette procédure dite de référé-détention est terriblement inconstitutionnelle en ce qu'elle méconnaît l'article 66 de la Constitution dont il résulte en principe « que lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel » (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).
Mieux encore, vous avez considéré, on ne peut plus clairement, aux visas des articles 9 de la Déclaration de 1789, de l'article 66 de la Constitution et du principe fondamental reconnu par les lois de la République des droits de la défense qu'en « matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle » (décision no 95-360 DC du 2 février 1995).
On ne saurait mieux faire.
Certes, les auteurs de la saisine n'ignorent pas que dans la décision du 22 avril 1997 (cf. considérants 61 à 64) vous avez admis la procédure dite du « référé-rétention » dont le dispositif présentement critiqué est un décalque mal inspiré.
Mais la rigueur juridique oblige à considérer que l'exception au principe admise dans cette décision du 22 avril 1997 n'est pas transposable en l'espèce, malgré les efforts du Sénat pour améliorer un texte dont l'inconstitutionnalité est apparue flagrante aux rapporteurs de la commision des lois (Sénat, rapport no 370, p. 150).
En premier lieu, le champ de l'exception admise par votre décision était singulier puisqu'il concernait la rétention administrative, soit la retenue d'un étranger en situation irrégulière dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour un temps strictement limité au départ de l'intéressé et qui, en tout état de cause, ne peut pas excéder une dizaine de jours, selon les circonstances.
Au cas présent, il s'agit du prolongement éventuel d'une mesure de détention provisoire en application du principe de la présomption d'innocence, et qui peut durer plusieurs mois selon la nature de l'infraction en cause.
La différence se marque d'autant plus aisément si l'on revient sur les observations du gouvernement produites à l'époque. Pour justifier cet appel suspensif, il indiquait qu'il s'agissait d'une « mesure répondant à une nécessité pratique impérieuse sans laquelle cette voie de recours risquerait d'être privée de toute effectivité (...). Dans de telles hypothèses, l'appel suspensif permet d'éviter qu'une décision trop vite prise par un juge unique compromette irréparablement l'exécution d'une mesure d'éloignement pleinement justifiée ».
On voit bien que cette dérogation exceptionnelle au rôle que l'article 66 de la Constitution assigne à l'autorité judiciaire en matière de liberté individuelle était spécifique aux problèmes posés par l'application concrète du droit des étrangers.
La situation présente est radicalement différente.
Car l'exception au principe que vous avez alors admis était limitée à la seule hypothèse où l'intéressé ne dispose pas des garanties de représentation effective.
Or, le caractère suspensif de cet appel du parquet et le maintien en détention de la personne dont la remise en liberté a été prononcée, pendant les deux jours ouvrables nécessaires pour juger la demande du procureur, est directement lié à une remise en cause de la globalité de l'appréciation du juge du siège ayant décidé en faveur de la liberté.
D'ailleurs, paradoxalement, l'amendement de la commission des lois du Sénat précisant que l'appel ne pourra être déclaré suspensif que si deux des critères de l'article 144 du code de procédure pénale sont réunis, montre assez que cette procédure dérogatoire n'est pas liée à un but précis tenant, par exemple, aux garanties de représentation de l'intéressé mais au fond de la décision de remise en liberté prise par le juge du siège.
C'est pourquoi, il importe de rappeler avec force que le caractère arbitraire d'une détention n'est pas affaire de quantité. A l'instant même où un juge du siège considère qu'une détention doit cesser, sa poursuite, serait-ce pendant deux jours ouvrables, est par définition arbitraire au regard du premier alinéa de l'article 66, et il ne dépend pas même du législateur d'en décider autrement, ni à quiconque.
En deuxième lieu, la situation critiquée est radicalement différente de celle jugée le 22 avril 1997, dans la mesure où l'appel suspensif du parquet a vocation à faire échec au principe de la présomption d'innocence.
Or, d'une part, en revenant sur un mécanisme légal assurant la protection de la présomption d'innocence, la loi critiquée supprime une garantie dont une norme constitutionnelle était dotée.
D'autre part donc, la possibilité de mettre en échec la décision de remise en liberté prise par un juge du siège méconnaît l'article 66 de la Constitution et conjointement l'article 9 de la Déclaration de 1789.
La disposition critiquée est contraire, encore une fois, au principe affirmé dans votre décision du 2 février 1995 précitée.
En troisième lieu, cette possibilité ouverte au parquet mais pas à la personne détenue lorsqu'elle subit une décision de maintien en détention, rompt l'égalité des armes qui s'impose constitutionnellement.
Il n'est pas douteux que le parquet est une partie au procès pénal et que, par conséquent, il est contraire aux règles du procès équitable de doter une partie d'une faculté que la ou les autres n'ont pas, et surtout s'il s'agit de la liberté individuelle.
Pour toutes ces raisons, cette procédure encourt une censure certaine.
IV-3. Sur l'article 42 de la loi.
Cet article institue une procédure simplifiée pour juger certains délits donnant au ministère public la liberté de choisir le recours à ces modalités singulières de jugement dans certaines circonstances et au président du tribunal de statuer sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende, ou « s'il estime qu'un débat contradictoire est utile ou qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, renvoyer le dossier au ministère public » (nouvel art. 495-1 du code de procédure pénale).
Les articles 495 à 495-6 nouveaux du code de procédure pénale méconnaissent le principe d'égalité devant la justice tel que vous avez eu l'occasion de l'affirmer en censurant la faculté envisagée pour le président du tribunal de grande instance de renvoyer selon son pouvoir discrétionnaire certaines affaires à un juge unique et non à la formation collégiale normalement compétente. Vous avez considéré que le respect du principe d'égalité devant la justice inclus dans celui d'égalité devant la loi fait « obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées différemment » (décision no 75-56 DC du 23 juillet 1975).
En l'occurrence, les critères non objectifs fixés par le nouvel article 495-1 du code de procédure pénale pour que le ministère public oriente ou non la procédure vers la forme simplifiée ne sont pas de nature à justifier une telle exception au principe d'égalité devant la justice.
Surtout, la faculté reconnue au président du tribunal de choisir entre l'ordonnance pénale et une autre procédure est fondée sur une appréciation subjective propre à faire traiter des affaires de même nature selon des procédures et selon des garanties différentes.
Cette absence de critères objectifs pour orienter le choix de la procédure utilisée est, sans conteste, une rupture d'égalité devant la justice ainsi que vous en aviez jugé dans votre décision du 23 juillet 1975 précitée.
La censure devra intervenir là encore.
IV-4. Sur l'article 49 de la loi.
Cet article a pour objet de modifier l'article 138 du code de procédure pénale en permettant que la décision prononçant l'obligation de contrôle judiciaire puisse être assortie du placement sous surveillance électronique. Qu'il en irait donc ainsi également pour les mineurs étant soumis à un tel contrôle.
Une telle rigueur, non nécessaire, porte atteinte à la liberté individuelle ainsi qu'à la dignité humaine et à la vie privée, et méconnaît la présomption d'innocence.
Il est vrai que la faculté de placement sous surveillance électronique exige l'accord de l'intéressé recueilli en présence de son avocat. Ce qui apparaît pour une garantie, certes indispensable, ne peut toutefois suffire à purger les vices d'inconstitutionnalité en cause.
D'abord, on peut imaginer que, dans les faits, il sera au moins habilement suggéré que cette solution sera toujours préférable à d'autres mesures plus radicales, en sorte que l'intéressé verra son consentement à la mesure de surveillance électronique relativement orienté.
Ensuite, il demeure que, au-delà même de ces garanties, une telle mesure conduit à faire glisser la mesure de contrôle judiciaire vers une contrainte de la liberté d'aller et venir beaucoup plus forte et, en particulier, attentatoire à la dignité humaine et à la vie privée du mineur pouvant y être soumis.
Il est aisé d'imaginer ce qu'il adviendra de l'enfant affublé de ce mode de surveillance et qui devra le porter, par exemple, à l'école ou dans ses activités extrascolaires. Le regard des autres ne pourra que le stigmatiser davantage et aggraver sa situation.
Il faut noter à cet égard que cet article 49 modifie également l'article 723-9 du code de procédure pénale pour permettre que la mise en oeuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance puisse être confiée à une personne privée habilitée dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Il s'agit dès lors d'une sorte de « privatisation » de la procédure pénale qui n'est pas compatible avec les principes de notre droit. Elle l'est d'autant moins qu'elle accompagne l'extension des possibilités de placement sous surveillance électronique, y compris pour les mineurs.
Dès lors, la censure ne manquera pas d'être prononcée.
(Liste des signataires : voir décision no 2002-461 DC.)